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Elvira Claude
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La pensée individualiste Versus l’engagement communautaire dans la société camerounaise

La pensée individualiste Versus l’engagement communautaire dans la société camerounaise

source: pardon.net

source: pardon.net

C’est à la sortie d’un débat organisé ce weekend par l’association Okwele series que j’ai pris conscience de ce fait: les camerounais sont TRES individualistes. L’affaire m’a choquée sur le coup tandis que je me disais : « mais c’est très vrai ça ! ». On a souvent eu la prétention de violemment critiquer les sociétés occidentales en les traitant d’individualistes par opposition aux sociétés africaines considérées comme plus communautaires. Ceci est peut être vrai à l’échelle des continents mais si on prend le cas du Cameroun, on se rend compte que ce n’est pas nous qui faisons pencher la balance dans le bon sens.

 

Pourquoi cela? Les camerounais, je pense que pour le coup beaucoup seront d’accord avec ça, partagent très peu l’information. On ne parle pas de ses projets, on peut peut-être les aborder vaguement au fil des discussions, quelques fois avec une forte dose d’humour pour ne pas être pris au sérieux. On ne parle pas de ses « réseaux ». On travaille en cachette et on laisse les gens « découvrir » une fois que le projet est mis en place. On ne compte que sur ses moyens ou sur des proches fiables. Le camerounais se méfie de son compatriote. Pour plusieurs raisons plus ou moins légitimes: le désir d’être le seul à réussir dans son entourage, le désir de se lancer dans des activités contestables, la peur d’être copié, devancé, la peur d’être moqué si jamais le projet échoue, la peur d’être saboté, jalousé au point de craindre pour sa vie… Parce que oui, il est de notoriété publique que le camerounais n’aime pas quand son frère réussit.

 

Comment expliquer cela? Est-ce un aspect occulté de notre culture? Peut-être. C’est une question à creuser. Sinon, cela viendrait-il de notre histoire? Cela s’est-il exacerbé ces trente dernières années? Je n’ai pas la réponse à ces questions mais je fais juste un constat simple: entre la génération de nos parents et la nôtre, un tas de choses se sont fortement dégradées. Pour exemple, dans sa thèse intitulée « Individualisation versus Démocratisation ? Conditions et formes du militantisme étudiant en situation autoritaire (Cameroun, 1962-2014) », Cindy Morillas fait ce constat: les conditions d’études dans les universités publiques au Cameroun se sont dégradées à partir des années 80/90. Et étonnament cette période coïncide avec celle où l'on passe du parti unique au multipartisme. Les camerounais n’ont qu’une très faible fibre revendicative. Il y’en a bien qui se mobilisent pour le bien commun, mais pour la majorité, c’est chacun pour sa gueule, chacun se débrouille, chacun se bat à son niveau. Nous vivons au quotidien avec la frustration de ne pas pouvoir compter sur son confrère, mais nous continuons dans ce système. Un professeur camerounais a dit : « Ce n’est pas gage de bonne santé que de s’adapter à une société malade ». Mais comme vous le savez, c’est bien connu au Cameroun : « On va faire comment ? »

 

J’ai toujours été passionnée par les cultures, les langues, la musique, l’art, etc. à travers le monde mais ces dernières années, mon coeur ne bat plus que pour le Cameroun, l’Afrique en général, et peut être un peu l’Asie aussi. Je suis de près tout ce qui touche au Cameroun, et suis profondément en amour avec la culture, la musique, l’histoire de ce cher pays. J’ai été éduquée avec l’idée d’un jour y retourner pour contribuer à son développement. Aujourd’hui, je sais la chose moins aisée que ne le laissaient penser mes ainés (tant ils ont déployé des arguments pour me convaincre) et c’est avec une certaine préparation mentale que je veux aborder le retour au Mboa.

Je suis loin d’être la première à faire cette démarche certes; mais mon objectif, au delà d’être celui de trouver un bon emploi comme beaucoup, est surtout de travailler à terme pour le bien commun. Serge Bakoa, représentant nommé de la diaspora en France et invité à la 2nde édition des Okwele series a dit: « c’est à nous de définir ce que ce sera le développement du Cameroun […] sans définition préalable, nous ne pouvons pas mettre des actions en place ». En effet, j’ai souvent constaté deux types de personnes parmi les camerounais qui veulent rentrer au Cameroun: ceux qui ont des opportunités, qui sont désireux de rentrer dans ce pays où on se sent si bien, et qui projètent de s’enrichir dans un business plus ou moins bien ficelé; et ceux qui veulent rentrer au pays pour lui apporter quelque chose de nouveau, proposer des solutions, s’engager pour contribuer au changement: en gros, ceux qui sont prêts à l’engagement, au don, au sacrifice. Cette dernière catégorie est très rare mais tend à s’élargir ! Tandis que la première catégorie est la plus largement répandue, au point que beaucoup de personnes volontaires se découragent avant meme de laisser s’épanouir en eux l’envie, simplement parce qu’ils n’ont pas ou peu d’opportunités. J’entends souvent dire : « Oui mais, lui là, il sait où il va atterrir hein… » (comprendre: il pourra toujours retomber sur ses pattes). J’entends aussi : « non mais tu veux rentrer comme ça? Faut au moins que tu aies quelque chose… », à croire que trouver du travail au Cameroun (à distance) est une condition nécessaire à remplir AVANT d’envisager y retourner. Pour moi, le travail est un moyen nécessaire de subsistance. En ce sens, il faut effectivement réfléchir sérieusement à la question. Mais cela ne doit pas conditionner la volonté de rentrer. Il est toujours possible, quand le désir est profond, de prendre le risque de se confronter directement aux réalités du terrain. Peut-être que ceux qui se disent citoyens du monde et pour qui travailler au Cameroun est une opportunité comme une autre, au même titre que travailler en Chine ou au Canada, ont une autre vision de la chose? Je respecte les choix des uns et des autres. Je sais pertinemment que les contextes familiaux et les sensibilités personnelles pèsent lourds dans les réflexions et décisions de chacun. Je souhaite juste interpeller sur le besoin de définir ce que nous entendons par le développement du Cameroun, sachant que les deux catégories y contribuent à mon sens à leur façon.

 

Je note néanmoins avec beaucoup d’enthousiasme que dans mon entourage une certaine émulsion d’idées va en grandissant et l’information est beaucoup plus partagée. Cela n'est peut-être que le fait de notre génération hyperconnectée grâce aux réseaux sociaux? Quoi qu’il en soit, il me semble très important, voire primordial que nous ne soyons pas isolés dans nos actions mais que nous puissions mutualiser les idées/projets, s’inspirer les uns des autres, s’accompagner, se conseiller, s’encourager car l’union fait la force. Voilà ce que j’ai retenu de ma participation à la seconde édition des Okwele series cette année.

 

J’en profite pour féliciter l’équipe pour cette initiative et les encourager à aller aussi loin que possible dans leurs actions.

Okwele series Facebook : https://www.facebook.com/Okwele-Series-1691088657783028/